3 ans après l’invasion russe, alors que Trump s’allie à Poutine, le destin de l’Europe se joue ici.
Chers amis,
Je vous écris d’Ukraine, où je retourne une nouvelle fois avec la conviction que c’est ici-même, ici et maintenant que se décide l’avenir de l’Europe, notre avenir.
La trahison américaine rend les choses plus claires que jamais : l’Ukraine sera le berceau ou le cercueil de cette puissance européenne libre et souveraine pour laquelle je me bats depuis que je suis en âge de lutter.
Dans ce train qui me ramène à Kyiv, toutes ces années passées à essayer d’alerter sur la menace que faisait planer le fascisme poutinien sur la paix et la sécurité de l’Europe me reviennent à l’esprit….
Je revois ces centaines de milliers d’Ukrainiens sur la place Maïdan lors de mes premiers pas à Kyiv au début de la Révolution Orange. Puis je revis ces années géorgiennes - de la guerre de 2008 à la défaite de 2012 - durant lesquelles j’ai tout fait pour empêcher des dirigeants occidentaux indignes de balancer une nation amie sous le bus poutinien. Je retrouve, sur Maïdan à nouveau, en 2014, les étudiants de la fac de philo de Kyiv bravant la mort un drapeau européen dans la main.
Les visages de mes amis assassinés comme Anna ou emprisonnés comme Misha surgissent au cœur de la nuit. Je vois leurs sourires, j’entends leurs rires. Et je me souviens de leur tristesse face à l’incrédulité ou l’hostilité de leurs interlocuteurs occidentaux qui ne voulaient pas entendre ce qu’ils disaient, voir ce qu’ils montraient, comprendre ce qu’ils expliquaient. Combien de fois ai-je observé ce vague à l’âme dans les yeux d’Ukrainiens ou de Géorgiens parlant à des Français, des Américains ou des Allemands ?
Je vois aussi Fanfan et Glucks, mes parents qui m’accompagnent partout depuis qu’ils ont cessé d’être quelque part. En Ukraine, ils sont plus présents qu’ailleurs encore. Je vois leur regard doux se poser sur moi, je sens leur tristesse là aussi, devant l’abjection américaine, la solitude ukrainienne, la faiblesse européenne… Je ressens en moi - physiquement, de manière aiguë - les frustrations réfléchies de l’un et la colère incandescente de l’autre.
Je sais, en ce 24 février 2024, trois ans jour pour jour après le début de l’invasion totale de l’armée russe, que je suis là où je dois être, mais qu’il faudra être tellement plus. Faire tellement plus. Pour être à la hauteur du péril.
Je me suis engagé en politique car je savais que ce moment de vérité allait venir, ce moment qui exige de nous de parler d’une voix claire et de trancher d’une main ferme, de lester ses mots du poids des morts et d’agir comme si notre vie en dépendait.
La terre se dérobe sous nos pieds ces derniers jours et nous marchons tels des somnambules vers l’abîme. Donald Trump reprend mot à mot la propagande russe et choisit Vladimir Poutine contre l’Ukraine et l’Europe ; les services de sécurité allemands comme danois prévoient une guerre russe sur le sol de l’Union européenne (UE) avant 2029 ; les Baltes et les Finlandais creusent des tranchées : que nous faut-il de plus pour éprouver enfin l’ébranlement commun qui permet les grands sursauts collectifs ?
Nous vivons une rupture telle que nous n’en avons pas connu de notre vivant. Disons-le clairement : l’appartenance à l’OTAN n’assure plus la sécurité des nations européennes. Jamais la menace d’une guerre à l’intérieur des frontières de l’UE n’a été aussi élevée et, c’est lié, jamais nos capacités de dissuasion n’ont été aussi faibles. Nous ne pouvons plus nous fier à Washington pour porter secours à la Lettonie ou la Pologne lorsque les troupes russes envahirons, et Vladimir Poutine le sait.
Si nous ne l’arrêtons pas en Ukraine, nous aurons le déshonneur et la guerre que promettait Churchill aux Munichois. Car Poutine ne s’arrêtera pas au Donbass ou à la Crimée. Son but n’est pas simplement l’Ukraine, mais l’architecture de sécurité européenne. Nos démocraties.
J’ai une admiration sans borne pour l’héroïsme des Ukrainiens et le courage de leur Président, mais nous ne devons pas aider l’Ukraine simplement par solidarité pour une nation martyrisée dont le seul crime est de vouloir vivre libre. Nous devons aider l’Ukraine parce que c’est notre intérêt vital de le faire. Il ne s’agit pas d’internationalisme naïf, mais du soucis égoïste de notre sécurité et de notre liberté.
L’UE sera écrasée et démembrée si elle ne devient pas en quelques mois la puissance politique, militaire, économique, souveraine et intégrée qu’elle n’arrive pas à être depuis des décennies. Les petits pas qu’affectionnent ses dirigeants – que rien ne prédestinait à faire face à une situation aussi grave – ne suffiront plus, il faut un saut de géant.
Il nous faut trouver en nous, en chacun de nous, les ressources morales et la force mentale de changer notre rapport au monde. Et il s’agit pour les dirigeants européens, en étroite coordination avec nos alliés britanniques et canadiens, d’annoncer rapidement un plan à court et moyen terme de protection de nos nations et de sauvegarde de nos démocraties.
Il commencera ici, par le front ukrainien, notre première ligne de défense. Mettons fin à la pusillanimité et à l’indécision dont nos dirigeants font preuve depuis le 24 février 2022, augmentons drastiquement les fournitures d’armes européennes à Kyiv, saisissons les 200 milliards d’euros d’avoirs publics russes gelés dans nos banques et affectons-les au soutien militaire et financier à l’Ukraine.
Dans la foulée, lançons un emprunt commun de 500 milliards d’euros pour la défense européenne, en nous assurant que cet argent ne financera plus l’achat de F-35 ou de missiles américains, désactivables à distance, mais le développement rapide de la base industrielle européenne. Pour coordonner ces dépenses massives et mettre en place le « Buy European Act » que nous défendons depuis plusieurs mois. La Commission européenne se transformera en centrale d’achat et d’investissement comme elle a su le faire pour les vaccins au moment du Covid-19.
Je ne sais pas si les dirigeants européens seront à la hauteur du moment que nous traversons. Mais, aujourd’hui, depuis Kyiv, ce que je sais, c’est que nous ne pouvons pas tergiverser un jour de plus. Il en va de notre avenir à toutes et tous. C’est pour nos nations, pour nos enfants, pour nous-mêmes que nous n’avons pas le droit de perdre en Ukraine.
Comme chaque jour depuis trois ans et aujourd’hui plus que jamais : Slava Ukraini et Vive l’Europe !
Raphaël
Retrouvez ma tribune dans Le Monde ici.